Patrimonialisation, repli identitaire et interprétation

 

BREITENBACH Pascal
Docteur en géographie
Consultant en environnement
pb@consulterre.fr
www.consulterre.fr


Regard restrospectif sur les rencontres « Patrimoines, territoires et création d'activité », qui ont eu lieu au Domiane Olivier de Serres, Le Pradel, Ardèche, jeudi 30 et vendredi 31 mai 2002.

Lors des Rencontres du Pradel, les participants auront pu noter un souci commun à plusieurs intervenants : peut-on s'intéresser au patrimoine, valoriser l'identité d'un territoire, sans pour autant se transformer en agent de propagande culturelle nationaliste ?

Dans son introduction, Pierre-Antoine Landel (Université Joseph Fourier, Grenoble) évoquait le risque de repli identitaire lié à la patrimonialisation.

Jean Guibal (Conservation du Patrimoine de l'Isère) confirmait ensuite que le patrimoine est un outil de lien social, mais un outil dangereux avec des discours du type « nous sommes les meilleurs, et l'Autre est arrivé »… Il faisait également référence au site internet d'un parti politique pour lequel la culture se limite au patrimoine ; avant d'affirmer que le patrimoine n'a pas de sens s'il n'est pas porteur de valeurs, la richesse du patrimoine n'étant pas l'objet mais la diversité des cultures.

Enfin, dans sa conclusion des Rencontres, André Micoud (Université Jean Monnet, St-Étienne) nous disait que la mode patrimoniale révèle l'absence de sens du temps présent et l'incapacité à penser l'avenir.

Étant venu pour témoigner dans un atelier de mon activité de spécialiste de l'interprétation des patrimoines naturels et humains, je me suis senti interpellé par ces discours. Que faire ? En quoi la pratique de l'interprétation peut-elle apporter sa pierre à une patrimonialisation ouverte sur le monde ?
Il m'est donc venu, à chaud en écoutant les uns et les autres, quatre remarques, d'importances inégales j'en conviens…

• Développer une vision critique du temps passé pour éviter de sombrer dans la nostalgie : « c'était le bon temps… ».
- On ne mangeait pas à sa faim dans de nombreuses régions et quand on avait à manger c'était toujours la même chose (témoignage d'un habitant originaire du Vercors au cours d'une table ronde sur le thème de l'agriculture et l'alimentation), de plus il y avait plein de maladies, bref on ne vivait en moyenne pas très vieux.
- L'individu subissait le poids énorme de la collectivité, alors qu'aujourd'hui par exemple les africains confrontés à notre mode de vie envient notre capacité d'autonomie individuelle : on peut survivre en dehors du groupe.

• Éviter d'en rajouter dans les expressions du livre des records, si chères aux dépliants touristiques : « ici c'est le plus ceci ou cela… ».

• Considérer avec prudence la déclinaison du principe de participation du développement durable qui veut que l'on fasse au maximum appel aux ressources humaines locales dans le cadre de la valorisation, afin de ne pas instaurer une préférence communale, cantonale ou autre, lorsque la qualité n'est pas au rendez-vous.

• Plus fondamentalement, réexaminer les principes et méthodes de l'interprétation, pour voir en quoi cette discipline peut éventuellement apporter des réponses ou déterminer une attitude vis-à-vis de ces questionnements.
À travers la recherche de « l'esprit du lieu », le travail de l'interprète s'attache bien à une quête identitaire ; révéler la spécificité du patrimoine, c'est aussi exprimer sa richesse, sa diversité et éviter la banalisation et la standardisation.

Néanmoins, le travail de l'interprète ne saurait s'arrêter là :
- Freeman Tilden en formalisant les principes fondateurs de l'interprétation dit déjà, en 1957, qu'elle devrait viser à présenter un tout plutôt qu'une partie ;
- les participants au séminaire « Interprétons l'interprétation » de Lyas en Ardèche, en décembre 2000, affirment d'une part que l'interprétation révèle des enjeux en proposant une problématique qui dépasse le niveau local et en considérant le patrimoine comme un lien entre passé, présent et avenir ; et d'autre part que l'enjeu local de l'interprétation est que le visiteur prenne conscience des enjeux liés au patrimoine au niveau de la société. Pensées que l'on pourrait résumer en disant que l'interprétation s'appuie sur l'exemple pour faire percevoir le système.

À condition d'aller avec rigueur jusqu'au bout de la démarche, en faisant l'effort de faire émerger et percevoir ces enjeux, l'interprétation semble donc posséder les bases théoriques permettant de fournir, à partir du patrimoine, des éléments de sens pour le temps présent et pour l'avenir, en évitant ainsi l'écueil de ce repli identitaire tant redouté.


Référence de la publication : BREITENBACH P. (2002). Patrimonialisation, repli identitaire et interprétation. La mémoire partagée. n°16 – septembre 2002. Parc Naturel Régional du Vercors. p 8.

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